L'aérodrome méconnu de Poulainville
Des ouvrages racontent des faits identiques qui se seraient déroulés, pour les uns, sur l'aérodrome de Bertangles, pour les autres, sur l'aérodrome de Poulainville, alors : Bertangles ou Poulainville ? Conjointement avec Jacques CALCINE, Lieutenant Colonel en retraite, historien, membre 2 A auteur de l'Atlas Somme. Terrain d'aviation militaire première Guerre Mondiale et Sir Roger AUSTIN, Air Marshall, également retraité, qui effectue les mêmes recherches côté anglais, nous avons mis nos travaux en commun pour résoudre ce mystère.
.Mais où donc était ce terrain ou ces terrains?
Jacques CALCINE et Roger AUSTIN possèdent des plans et des vues aériennes prouvant la présence de deux aérodromes à l'est et à l'ouest de la voie ferrée Amiens-Canaples sur le territoire de Bertangles, tous deux à la limite de celui de Poulainville. Ces deux aérodromes étaient présents dès le début du conflit.
Roger s'est documenté dans les archives de la RAF, Jacques, entre autres, dans celles de Vincennes. Comme ces plans ne délimitent pas les contours des terrains, nous supposions dans un premier temps, sans preuve matérielle, que les cantonnements empiétaient sur la commune de Poulainville, provoquant la confusion entre ces deux communes.
La découverte auprès de la National Library of Scotland de cartes sur lesquelles figurent les tranchées situées entre Ferrieres et Villers bocage nous a permis d'être plus précis sur les emplacements des aérodromes : ils ne pouvaient être qu'en dehors de cette zone excavée .
Témoignages prouvant l'existence d'un aérodrome distinct sur Poulainville.
Le 24 mars 1918, l'aérodrome de Poulainville est cité dans le journal du 8 e Squadron du Britain Royal Flying Corps qui s'y installa avec ses 18 appareils Armstrong Whitworth.
Au mois d'octobre 2013, j'ai eu le plaisir de rencontrer une première fois à Poulainville Mme et Mr Roger MORTIMER, fils du Lieutenant Gerald James MORTIMER observateur au 35 e Squadron RFC pendant la grande guerre. Son père avait décollé le 25 mars 1918 de l'aérodrome de Poulainville, l'appareil a été abattu près de Bapaume, Gérald blessé a survécu. Roger m'a aimablement fait parvenir la revue "CrossandCockade" qui nous apprend que:
" Devant la progression des Allemands, le 24 mars 1918 l'escadron du 35e Royal Flying Corps dut abandonner l'aérodrome de Chipilly où il s'était installé depuis peu car le site était continuellement mitraillé par les appareils allemands", et que les hommes arrivèrent de nuit sur l'aérodrome de Poulainville.
L'existence de cet aérodrome est donc bel et bien attestée à partir du mois de mars 1918.
Un maître pointeur du 256e RAC (Régiment d'artillerie de campagne) , Louis TREILLET, qui était présent à Poulainville entre le 23 avril et le 4 mai 1918, mentionne dans ses carnets "avoir vu à Poulainville, un grand parc d'avions anglais composé de 300 appareils et y avoir visité un avion boche".
Le journal de guerre du 3° Escadron AFC le situe clairement le huit avril 1918:
" À Poulainville l'escadron occupe un champ à l'ouest du chemin de fer d'Amiens- Vignacourt. Le lieu est le siège de la plus forte activité de vol dans un rayon d'un demi-mile (800 mètres), pas moins de huit escadrons y sont concentrés". Entre l'emplacement du 3e Escadron et celui de l'aérodrome nord- ouest de Bertangles il y a bien1600 mètres, soit le diamètre du cercle cité.
Dans les archives communale de Poulainville une liste de dommages de guerre mentionne les dégâts provoqués par l'armée britannique, nous y trouvons, concernant les "Aubivats," : "1/4 [des terres] pris par des baraquements en 1918 ".
Une photo lève totalement le doute sur l'existence de l'aérodrome de Poulainville, elle a été prise le 22 avril 1918, lors du départ vers le cimetière de Bertangles, du corps de Von RICHTOFEN. Le corps du baron abattu le 21 avril avait été amené sur l'aérodrome de Poulainville et y avait été autopsié. (Lire la grande guerre à Poulainville dans notre revue n°48)
Extrait du Journal de guerre du 3e Squadron A.F.C où figure la localisation de l'escadron.
En observant la photo du départ du convoi funéraire de Von RICHTHOFEN, autopsié sur l'aérodrome de Poulainville, nous apercevons au Nord la gare de Bertangles- Poulainville ainsi que la présence sur ces photos de 6 ou 7 tentes single, un bâtiment double en bois, un autre en acier. Comme la photo ne couvre que l'événement , nous ne pouvons pas voir la totalité de ceux- ci .
Plan National Library of Scotland
Vue aérienne Google avec en superposition une carte des tranchées(en bleu), nous avons situé approximativement les aérodromes. En jaune la limite communale
Devant la progression allemande consécutive à l'offensive Ludendorff déclenchée le 21 mars 1918, les aérodromes proches du front évacuèrent dans l'urgence, le 24 mars ; huit escadrons (144 appareils) se replièrent en catastrophe vers les aérodromes de Bertangles, qui, saturés se délestèrent de trois escadrons plus au sud sur la commune de Poulainville. Les 26 , 27, 28 mars, trois autres escadrons se posèrent à Bertangles.
L'aérodrome de Poulainville, proche des aérodromes de Bertangles, fut créé en urgence et dans l'improvisation totale le 24 mars 1918, au sud de la gare de Bertangles -Poulainville, au lieu- dit " Les Aubivasts" (orthographe de l'époque), sur des champs non aménagés, situés entre la voie ferrée Amiens-Vignacourt et la route d'Amiens à Flesselles. L'aérodrome était relié au village de Poulainville par le chemin éponyme des Aubivasts, et raccordé aux aérodromes de Bertangles par le chemin longeant la voie ferrée qui desservait la gare, mais aussi par la route d'Amiens à Flesselles.
Il fut utilisé pour la première fois le 24 mars par le 8 e Squadron Royal Flying Corps avec ses 18 appareils Armstrong Whitworth, et le même jour par le 35 e Squadron Royal Flying Corps.
Le 24 mars, devant l'avance allemande, ces deux escadrons ont dû abandonner l'aérodrome de Chipilly où ils venaient de s'installer depuis peu, le site étant continuellement mitraillé par les appareils allemands.
Ils y furent rejoints le lendemain 25 mars par le 52e Squadron RFC qui venait d évacuer l'aérodrome de Lahoussoye: il s'y était réfugié le 23 mars !
Sur le terrain de Poulainville il y avait donc au mois de mars trois escadrons avec 54 appareils.
National Library of Scotland
Nous voyons les tranchées de repli qui servaient aussi parfois à abriter les hommes lorsque l'aérodrome était attaqué.
Le triplan dépecé
De gauche à droite: le Lieutenant N.MULRONEY (pilote), le Lieutenant OG WITCOMB (observateur) et le Lieutenant F.J. MART (observateur) du 3e Squadron AFC examinent sur l'aérodrome de Poulainville les mitrailleuses Spandau du Baron Rouge. A.W.M
Aérodrome de Poulainville : l'empennage du triplan
Le Lieutenant N.MULRONEY (pilote) examine un élément du triplan .Australian War Memorial.
Les Escadrons qui ont utilisé le terrain de Poulainville :
- Le 8e Squadron RFC du 24 au 27 mars équipé d'AWFK8
- Le 35e Squadron RFC du 24 au 27 mars équipé de Bristol-Fighter F2B
- Le 52e Squadron RFC du 25 au 27 mars équipé de RE8
- Le 3e Squadron AFC du 8 avril au 3 mai équipé de RE8s
- Le nouveau 35e Squadron RAF (ex 35 Squadron RFC) avec ses Bristol F2b Fighter du 5 avril au 3 mai. Le front étant stabilisé le 15 avril, celui-ci réaménagea à Poulainville avec pour mission d'effectuer des patrouilles destinées à guider les tirs de l'artillerie amie contre les lignes et les batteries ennemies, et la reconnaissance photographique. Des essais d'atterrissages furent effectués par cet escadron sur un terrain d'entraînement situé à Amiens afin de l'utiliser éventuellement comme aérodrome avancé.
- Le 9e Squadron RAF équipé de Bristol F2B était présent le 4 juillet.1918.
- Le 201e Squadron RAF équipé de Sopwith- Camel s'y trouvait du 6 Août au 14 Août. 1918.
- Le 18 août 1918, le 209e Squadron RFC, escadron dans lequel volait Roy BROWN officiellement reconnu comme le vainqueur du Baron rouge, avait quitté le terrain de Bertangles avec ses Sopwith-Camel pour l'aérodrome de Poulainville.
- Le 46e Squadron RAF équipé de Camel l'utilisa du 14 Août au 8 septembre 1918 pour effectuer des missions d'attaque au sol.
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