Bergers, vaine pâture, sujets de discordes
S'il est un métier très ancien, c'est bien celui de berger. Né à l'aube de l'humanité, présent dans le monde entier, ce métier qui a perduré depuis la nuit des temps a disparu
de Poulainville. Le berger ne possédait pas de troupeau, il gardait les moutons appartenant à un ou plusieurs propriétaires. Le berger était bien souvent un
personnage solitaire, proche de la nature qu'il observait et connaissait. Il était autrefois craint, car son mode de vie solitaire différent de celui des villageois le marginalisait un peu
auprès de ceux-ci.
Le berger faisait paître gratuitement son troupeau sur la vaine pâture qui était un droit d'usage fixé par la coutume : terres en friches, terres de cultures non ensemencés ou terres de culture
après le ramassage des récoltes, bords de chemins, les talus (rideaux) à l'exception des enclos, le tout dans la limite de la paroisse et ensuite après la révolution de la
commune.
Le berger pouvait faire paître sur le parcours qui est aussi un droit de vaine pâture commun entre la paroisse de Poulainville et celle de Bertangles. Les
avantages de la vaine pâture étaient double : les moutons étaient engraissés gratuitement et la terre recevait le fumier des moutons. Le berger, avec ses chiens vivait dans une roulotte en
bois qui le protégeait des intempéries et pendant la belle saison vivait nuit et jour auprès de ses moutons, l'hiver ceux-ci rentraient dans leurs étables.
Au XIX e siècle il y avait deux bergers sur le territoire de la commune de Poulainville, chacun disposant d'un cantonnement défini par la
coutume. Le droit de vaine pâture fut aboli le 9 juillet 1889, sauf s'il a fait l'objet d'une demande de maintient non rejeté par le conseil général ou pardécret
d'état, sur la demande du conseil municipalil fut rétabli a Poulainville vers 1905. Le résumé ci-dessus nous permettra d'y voir plus clair dans les situations toujours
conflictuelles et parfois confuses qui font l'objet de ce texte. Les limites de territoires sont fixées par la coutume et nous verrons plus loin que la coutume n'est pas la même pour tout le
monde.
Déjà le premier conflit trouvé aux archives départementales apparait le 22 août 1521 sur un procès verbal de bornage entre Bertangles et le Petit
Poulainville, concernant trois quartiers de terre ou "pasture le bestail". Puis mars 1656 sur une "sentence prononcée contre le berger deBertangles pour pâture
à Poulainville". Le 12 mars 1700 encore une sentence pour le même motif. Le village de Bertangles qui était construit à la limite de la paroisse
de Poulainville au XIXe siècle commença à s'y étendre et quelques maisons se trouvèrent sur le Petit Poulainville.
De ce fait, d'autres conflits de territoire entre ces deux communes suivront, nous n'évoquerons que les griefs envers la commune de
Bertangles et ses habitants touchant au
pâturage ; ces extraits proviennent du registre des délibérations du conseil municipal de la commune de
Poulainville : en date du 26 août 1838. "
Ils se permettent encore les
avantages du glanage, râtelage, et les parcours !" . Puis en 1839 autre reproche envers la commune de
Bertangles "n'ayant point de pâturage communal". La
situation continua à s'envenimer et elle a bien failli tourner au désavantage de la commune de
Poulainville car la commune de
Bertangles revendiquât les terres
concernées dans les circonscriptions territoriales. Le conseil municipal et les habitants de
Poulainville en ébullitions envoyèrent un courrier au préfet.
"La richesse de
la commune dePoulainville consiste beaucoup dans les troupeaux qu'elle nourrit en grande partie par les pâturages, lesquels troupeaux sont indispensables à l'agriculture. Or la partie
réclamée est celle qui produit les meilleurs pâturages et surtout les plus abondants, car il est évident que les meilleures terres donnent plus que les mauvaises et que ce qu'elles produisent
vaut mieux qu'elle que soit la plante. Donc lui ôter ce pâturage, c'est lui ôter ses engrais et par conséquence ses récoltes, ce serai enfin ôter à Poulainville tout
moyen d'existence. ^Sur le bulletin des lois de la République Française de l'année 1843 le 27 juin LOUIS PHILIPPE, Roi des Français a ordonné
ce qui suit
"Le
hameau du petit Poulainville... et réuni à la commune de Bertangles" la commune de
Poulainvillea perdu son procès ; les limites
territoriales changèrent.
Il apparait que les rapports entre les élus et le berger furent souvent animés, on le constate avec ce texte annoté sur la page de couverture d'un registre de délibérations : "
calomnie pour
gratien Lenglet berger, pour avoir déclaré que la mort de son chien du 4 octobre 1835 était causée par de l'arsenic, tandis que l'ouverture (autopsie
) de son chien n'a pas eu lieu,
Vol d'avoine pour le même du 25 août 1835". Souhaitons que le chien n'ai pas été une victime innocente d'un règlement de compte. Quant au vol d'avoine il est possible que le berger ait
laissé ses moutons pâturer dans le champ avant la récolte.
Conflits
avec les propriétaires
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L'an 1837 le Maire et le conseil municipal devant les pétitions qui lui furent remises par les hertiers demandant "que les deux troupeaux de la dite commune soit égal en nombre des moutons
puisque les pâtures du territoire est divisée en deux cantonnement d'un égal étendue "il s'ensuivit un débat houleux une partie du conseil municipal étant parti prenante dans
cette affaire; Il fut décidé par le maire et certains conseillers "que chacun des troupeaux restera stationné pendant toute l'année entière dans son cantonnement que désormais il
ne sera plus permis dans le temps de parcage qui se fait en deux tournée d'aller au second tour parquer ou bon lui semble comme on l'a fait jusqu'à présent" décidèrent qu'a partir de
"chaque premier janvier les bergers changerons alternativement de cantonnement "ce qui paru juste aux uns mais pas aux autres, monsieur le Maire démissionna peut après
probablement excédé . En 1857 le berger communal BLOIS fut révoqué, mais quelques propriétaires de moutons prirent parti pour son maintient, l'affaire traina puis le préfet sollicité par les
uns et par les autres demanda au maire le 28 Février 1872 " de provoquer, s'il est nécessaire, une nouvelle réunion des intéressés et prendre officieusement leur avis sur la question
ainsi posée, avis que vous me transmettrez dans aussi court délai que possible, avec l'indication du nombre des votants en faveur du sieur Blois ou contre ce berger". Le problème ne fut
pas résolu car deux pétitions en date du 16 et 26 Mars contre le choix du conseil municipal furent adressées par plusieurs propriétaires de moutons ,mais le conseil municipal les réfutent
"proteste d'abord contre les dites pétitions et particulièrement contre celle du 26 Mars (1872) par laquelle les signataires attestent qu'un autre berger leur couterai plus
cher que celui qu'ils employaient, et il n'en veut comme preuve de la fausseté de cette allégation, que la présence d'un postulant qui s'est adressé au maire, muni d'excellents certificats et
qu'il s'engageait a les servir pour le même prix que le révoqué ,n'exigeant qu'un léger sacrifice du 1er Avril a la St Jean, les signataires ont refusés d'accepter". Un
autre sujet qui fâche fut abordé au cours de cette même réunion les pétitionnaires voulaient créer la partition d'un des deux cantonnements pour en créer un troisième ce qui aurait nécessité
l'emploi d'un troisième berger !"En outre le conseil après en avoir délibéré, ne peut point admettre de fractionner l'un des deux cantonnements établis pour la vaine pâture .La division en
deux cantonnements a été faite de temps immémorial et ces cantonnements établis avec la plus grande équité, ce qui ne serai pas possible dans le fonctionnement. D'un autre coté, les désagréments
que la vaine pâture entraine aujourd'hui se renouvelleraient infailliblement pour l'autre cantonnement dans un temps très proche ce qui est facile de prévoir des aujourd'hui par les tendances
d'une nouvelle division de l'autre herte. Enfin l'impossibilité pour ceux qui n'ont point de moutons aujourd'hui d'en avoir plus tard car en admettant le fractionnement, de quel coté ces derniers
mettront il leur bétail, s'ils viennent en avoir plus tard. Ils ne pourraient point, sans doute être admis du coté des réclamants et ce trouveraient dans l'impossibilité d'avoir un berger. Il est
inutile d'ajouter quelle perte il y aurait pour l'agriculture. En conséquence pour ces motifs ne peut admettre le fractionnement" La délibération prise fut immédiatement et puissamment
contestée par un membre qui après avoir déclaré que le conseil "n'était pas en nombre pour délibérer" se mit à lire un texte préparé a l'avance écrit par un tiers sur un
papier, sa lecture que voici fut enregistrée "Aux termes de l'article 21 de la loi du 3 Mai 1855 les membres du conseil municipal ne peuvent prendre part aux délibérations relatives aux
affaires dans lesquelles ils ont un intérêt soit en leur nom personnel soit comme mandataire. L'article 17 de la même loi porte que le conseil municipal ne peut délibérer que lorsque la majorité
des membres en exercice assiste à la séance, or sur les neuf membres présents quatre sont personnellement intéressés dans la question soumise au conseil, et ces quatre membres ne peuvent
délibérer. Le surplus se composant de cinq membres ne forme plus la majorité des conseillers en exercices lesquels sont au nombre de dix. On ne serai pas fondé à prétendre que les membres qui ne
possèdent plus aujourd'hui de moutons sont étrangers à la discussion puis qu'ils se sont posés eux même comme intéressés en signant les diverses pétitions en qualité de
hertiers.
Dans le cas qui se présente, il est admis par la préfecture que les membres empêchés du conseil municipal doivent êtres remplacés par un nombre égal de propriétaires plus fort contribuable de
la commune désintéressés dans l'affaire, choisi dans l'ordre du tableau Le propriétaire demande donc formellement que l'assemblée se sépare jusqu'à ce qu'il y ait été statué par l'autorité
supérieure, et il proteste contre tout autre mode de procédé qui serait adopté par l'autorité municipale comme étant illégal et par la suite entaché de nullité. L'auteur des
observations ci-dessus avait pensé que comme sa prétention s'appuyait sur la loi, il y sera fait droit .Monsieur le maire ayant cru devoir passer outre, il ne peut qu'insister sur sa protestation
et demander l'annulation de la délibération"
Le conseil ne fut pas de cet avis et décida de passer outre:
"L'assemblée vu les observations ci-dessus, crois devoir faire remarquer d'abord que c'est, non Monsieur le maire qui a cru devoir passer outre a la délibération, mais le conseil en majorité,
attendu que des quatre membres soi disant intéressés, deux sont sans moutons depuis deux ans. Elle ajoute que les dites observations ont étés présentés par écrit et que l'auteur n'est point
celui qui les a présentées, elle croit qu'en réalité, l'auteur est le seul membre absent qui n'a pas cru devoir assister a la réunion, par cette combinaison qui devait avoir pour résultat de
laisser l'assemblée en minorité. Pourquoi les membres ont signés les sus dits jour et an."
Les désaccords ont continués à empoisonner les relations entre le conseil municipal et les bergers en 1887" Monsieurle maire expose au conseil municipal qu'il serai bon de régler la
pâture des moutons sur le territoire, pour mettre fin a des réclamations qui se produisent depuis quelque temps.
Le conseil considérant que le territoire est assez étendu pour suffire aux besoins des troupeaux de la commune et voulant assurer a tous les propriétaires et fermiers de Poulainville le même
droit au pâturage. Délibère que chaque propriétaire et fermier aura droit a cinq tètes de bétail (moutons) par hectare".
En 1888 les choses n'étaient pas rentrés dans l'ordre un arrêté municipal détermina définitivement (pensait on) les limites consacrés par l'usage: "De Poulainville au
territoire de Longpré par le chemin vicinal de Poulainville audit Longpré" "De Poulainville au territoire
de Coisy par le chemin rural dit de Beauquesne" S'ensuivi un autre article visant à éviter autant faire ce peut les conflits du aux dépassements des
limites: "Les moutons ne pourront rester au pâturage après le coucher du soleil, il pourra être fait exception a cette règle a l'époque du parcage a la condition expresse qu'un des
moutons de chacun des deux troupeaux sera porteur d'une clochette d'un timbre différent, fixé par l'administration municipale, capable de faire reconnaitre le troupeau dans la nuit."Le
dernier article menace les contrevenants de poursuites et de condamnation à verser des dommages et intérêts.
Nous pourrions penser qu'avec cet arrêté les tensions s'apaiseraient il faut croire que non car en 1905 après avoir demandé le rétablissement et obtenu de la vaine pâture un nouvel arrêté
repris celui de 1888 en le complétant par :
"Chaque propriétaire ou fermier exploitant pourra envoyer à la vaine pâture trois bêtes à laine par hectares de terrain non clos, assujetti à cette servitude, les agneaux étant comptés a
partir du 1ernovembre de l'année de leur naissance."
"Toute fois pendant la deuxième tournée de parcage, le troupeau pourra se faire en commun mais chaque troupeau devra reprendre son cantonnement au premier novembre".
Le dernier berger de
Poulainville
Georges Gustave Henri LENOIR (cliché M. LENOIR)
Venant de Gorenflot Georges Gustave Henri LENOIR est arrivé dans notre commune vers 1934, il y avait alors deux bergers. Malgré les arrêtés municipaux
précédents réglementant leur nombre à deux, cela fit qu'il y eut trois bergers jusqu'à la guerre. J'ai connu vers 1960 Mr LENOIR nous étions voisins et amis, cette amitié perdure avec son
fils Maurice que celui ci soit remercié pour la documentation photographique qu'il a fourni, et pour les souvenirs et anecdotes qu'il m'a racontés. Mr LENOIR était un brave homme au franc
parlé, rendant service volontiers, mais gare à ceux qui n'étaient pas correct envers lui la riposte était immédiate et puissante le propriétaire qui l'avait engagé en fit l'expérience et se
retrouva sur le champ avec ses moutons, mais sans berger, lequel berger fut immédiatement réengagé par un autre pour garder ses bêtes. Un autre jour rentré au village avec son troupeau il fut
prévenu qu'un berger profitait de son absence sur son territoire pour y faire paitre son troupeau, il fit demi-tour avec ses bêtes et après avoir mélangé les deux troupeaux s'en revint au
village seul laissant le berger indélicat faire le tri. Puis les temps changèrent il se retrouva seul berger avec un troupeau qui appartenait a des propriétaires dePoulainville, mais aussi
de Longpré village voisin, dans ce troupeau quelques bêtes lui appartenait. Il surveillait aidé de ses deux chiens : un chien de pied qui attendait un ordre et le
chien de coté qui faisait le tour du troupeau pour éviter la dispersion, ses chiens beaucerons portaient chacun un nom comportant une seule syllabe afin que l'ordre soit bref et fort. Après les
récoltes il établissait dans les champs un enclos dans lequel se trouvait parqué son troupeau prés de sa cabane qui était une roulotte en bois montée sur un essieu avec deux
roues en fer, dans cet enclos il récupérait les déjections des moutons pour fabriquer du fumier qu'il revendait. Lorsqu'il n'établissait pas d'enclos il traçait avec son pied sur le sol une ligne
imaginaire qu'aucun mouton ne pouvait franchir, son chien se chargeait sans qu'on ne lui en donne l'ordre de renvoyer le transgresseur dans la zone autorisé. Le soir il ramenait les moutons en
longeant les rues du village et ceux-ci rentraient d'eux même dans leurs étables respectives puis le lendemain au jour ils effectuaient la démarche inverse. L'hiver lors de grand froid les
moutons restaient à l'étable. Il faisait paitre aux bords chemins, même en bordure des routes (la circulation automobile l'interdirait de nos jours) Le village a cette époque possédait de large
trottoirs et des talus recouvert d'herbes, les cotés des chemins et la place du village étaient propice a la pâture et il n'était pas rare d'y voir le berger et son troupeau. Le sept
novembre 1966, alerté par les hurlements de son chien on le retrouva adossé a sa cabane, appuyé sur son bâton face a son troupeau, victime d'une embolie pulmonaire qui lui fut fatale, ce jour
était celui qu'il avait choisi pour cesser son métier, le lendemain huit novembre il aurait du être en retraite. De nos jours les trottoirs ont rétrécit au profit de la chaussée et ils
sont bitumés, les talus ont étés arasés pour y construire des habitations, les chemins ont étés élargis pour devenir des rues qui desservent l'extension du village, sur la place du village
bitumé il n'y a plus d'herbes. Nous n'avons plus de berger, plus de moutons pour brouter l'herbe restante maintenant celle-ci s'appelle du gazon et il est tondu.
Ulysse PÉRODEAU
La cabane du berger vue avant (cliché U. PÉRODEAU)
La cabane vue sur le coté (cliché U. PÉRODEAU)
L'entrée de la cabane (cliché U. PÉRODEAU)